AVERTISSEMENT :
Cet article ne donne en aucune façon une position « officielle » du CAW sur certaines questions philosophiques, mais juste celle de son auteur, c’est-à-dire moi. J’ai écrit plusieurs articles sur ce site et aucun avant celui-ci ne m’a valu autant de remarques. La principale remarque qui m’a été faite est que je prétends que Dieu n’existe pas ! Cela est totalement faux, et cette remarque ne m’a été faite que par des personnes qui n’ont pas lu l’article en entier et qui, je pense, ont mis trop d’affectif à la lecture de mes premières phrases. Je fais ici l’éloge du DOUTE. Mais il est vrai que je prends des positions tranchées sur certaines questions, positions qui n’engagent que moi.
Je ne tente en fait dans cet article que de classer les différentes croyances dans différentes catégories.
La bonne surprise a été que les trois seules personnes qui ont eu le courage de lire ce long article en entier avant sa publication ont toutes dit qu’il était très intéressant et pour des raisons différentes. Un de ces trois lecteurs a apprécié le côté plus culturel, un autre a apprécié toutes les questions philosophiques abordées. Quant au troisième, qui croit en un créateur intelligent (mais qui ne croit toutefois pas que la création s’est faite en seulement 6 jours comme le croient certains créationnistes), il a apprécié cet article à cause de son objectif « combattre l’obscurantisme ». Mais en ce qui concerne sa croyance en Dieu et sa non croyance en la théorie de l’évolution, la lecture de l’article ne l’a pas fait changer d’avis… Bien au contraire, il a cherché des arguments dans la Bible pour contrer mes arguments à moi, et y a répondu en expliquant les raisons de sa croyance.
PLAN DE L’ARTICLE :
I°/ La matière, l’espace, le temps et… le reste
II°/ Les propriétés émergentes de la matière, l’intelligence humaine, animale, artificielle
III°/ Le Principe du Rasoir d’Ockham
IV°/ La force de la science pour combattre l’obscurantisme
PRÉAMBULE :
Pour les années 2012 et 2013, le projet d’orientation du CAW a été de combattre l’obscurantisme. Et pour ce faire, on devait augmenter le nombre de nos interventions à destination de la jeunesse : écoles, centres de loisirs, colonies de vacances… Et lors de ces interventions, on devait essayer de penser toujours à donner notre opinion très négative sur l’astrologie, antiscientifique et dont il est démontré scientifiquement qu’elle n’est fondée sur rien du tout. Pourtant, les masses populaires s’empressent de lire leur horoscope. Et notre expérience nous montre qu’à notre grand regret, nous n’arrivons pas, même avec des arguments scientifiques, à faire comprendre à ces grandes masses que ce sont des bêtises. Notre but est finalement devenu uniquement de faire en sorte que certains enfants entendent au moins une fois dire que l’astrologie ne vaut rien et qu’il ne faut surtout pas prendre de décision dans sa vie en en tenant compte.
L’obscurantisme est omniprésent dans notre société : astrologie, numérologie, créationnisme et sa version plus subtile du dessein intelligent, médecines parallèles… et j’en passe et des meilleurs.
Je ne suis pas moi-même un philosophe. Je suis de formation scientifique. Et j’ai déjà rédigé un article philosophique du genre de celui-ci pour le CAW il y a maintenant plus de 15 ans dans notre ancienne revue Procyon. J’ai même fait un exposé qui traite de ce genre de notions devant les membres du CAW. A chaque fois que j’ai décidé de m’exprimer sur ce sujet, mon sentiment a été le même, y compris à l’instant présent. Au final, n’ayant pas de formation en philosophie, je risque peut-être de présenter mes idées de manière confuse et pas assez bien structurée. Et je commets certainement une grande erreur aux yeux d’un vrai philosophe en ne définissant pas tous les termes que j’emploie et aussi en ne donnant pas forcément toutes les références de toutes les citations que j’emploie ou de toutes les expériences que je cite. Le lecteur néanmoins pourra me demander ultérieurement de retrouver mes sources sur chaque point que j’avance, il faudra juste être patient. Mais je me suis ensuite à chaque fois dit la même chose : il vaut mieux présenter ces idées de manière imparfaite que de ne pas le faire du tout. D’autant plus que pour les deux fois précédentes, mes présentations orales et écrites avaient bien plu aux membres de l’association. Et c’est une de mes modestes contributions à la lutte contre l’obscurantisme autre que par les interventions à destination de la jeunesse.
Ainsi, j’ai décidé de rédiger cet essai philosophique, ou plutôt épistémologique, sur le site du CAW, me disant qu’ainsi, quelques personnes au moins le liraient, peut-être les mêmes que celles avec lesquelles j’ai déjà eu ce genre de discussion par exemple en voiture pendant le long trajet pour aller au camp d’été d’astronomie, dans le sud de la France.
Mais je vais essayer de ne pas tomber dans le piège de la polémique ! Ce n’est pas ici le but.
L’objet de cet article est le combat de la raison contre la croyance.
Je distingue trois types de croyances : les croyances obligées, respectables ; les croyances raisonnables mais discutables (j’aurais pu aussi les appeler les croyances non absurdes), respectables elles aussi ; et enfin, les croyances stupides, non respectables.
Si l’on ne peut quasiment rien faire contre les premières et certainement vaut-il mieux ne rien faire contre elles, on peut tenter de savoir si les deuxièmes sont légitimes à l’aide de la science, ou si elle pourraient être invalidées. Nous verrons un exemple quant à la croyance raisonnable la plus répandue, celle en un Dieu unique. Mais nous verrons qu’il n’est pas sûr qu’il soit bon d’essayer de combattre ces croyances raisonnables… Quant aux croyances stupides, ce sont elles que l’on veut franchement combattre, car au mieux, elle font perdre du temps à leurs adeptes, au pire, elles sont dangereuses, voire mortelles pour eux.
Le travail qui suit comporte 4 parties.
Dans une première partie intitulée « La matière, l’espace, le temps et… le reste », on va rappeler qu’on a les meilleures raisons du monde de penser que la matière, l’espace et le temps existent et qu’ils sont intimement liés les uns aux autres. Puis, dans cette même partie, on va montrer qu’il n’est pas forcément stupide de supposer qu’il peut exister des choses en dehors de la matière, de l’espace et du temps, en présentant des exemples de telles « entités », mais en restant dans un cadre épistémologique.
Dans une deuxième partie intitulée « Les propriétés émergentes de la matière, l’intelligence humaine, animale, artificielle », on montrera que la somme des éléments en interaction est plus que la somme des éléments pris séparément. Puis nous essaierons de développer plus particulièrement le concept « d’intelligence » et plus particulièrement « d’intelligence artificielle ». Cette partie n’est pas incluse à cet essai philosophique juste pour faire beau, mais parce que à mon humble avis, l’intelligence artificielle va bouleverser notre vision philosophique du monde, ainsi que nos croyances. Et surtout, nous proposerons une piste aussi modeste soit-elle, une de mes propres idées, pour essayer de progresser sur la question de la croyance raisonnable en un Dieu unique, et l’avènement de l’intelligence artificielle joue un rôle essentiel dans cette idée.
Dans une troisième partie, nous allons rappeler le principe du rasoir d’Ockham qui est une notion fondamentale à mon avis, une sorte de fil conducteur qui doit nous permettre d’orienter nos pensées dans le bon sens.
Enfin, en vertu de tout ce qui précède, nous allons établir le classement des croyances dans les trois catégories dont nous parlons plus haut. Nous allons essayer d’évaluer leurs dangers, mais aussi l’aide qu’elles peuvent nous apporter, du moins pour les deux premières catégories. Nous allons ensuite poser une question, à savoir : la science a-t-elle quelque chose de plus que la croyance, étant la seule à être consciente de ses propres limites et à savoir les préciser ? Nous préciserons au passage que notre but n’est pas du tout d’être contre toute croyance. Puis, nous admettrons que malgré sa force, il n’est pas certain que la science s’impose, même si j’ai des raisons de penser qu’elle le devrait, donnant un certain « pouvoir » à ceux qui la pratiquent.
Cet histogramme représente le nombre de pages vues sur le site du CAW, chaque semaine, depuis la semaine 50 de 2012 à la semaine 12 de 2013. La semaine 51 où l’on peut voir le pic record est la semaine du 21 décembre 2012, date annoncée de la fin du monde ! Et la page vue en si grand nombre est la page « Le Soleil en direct ». Nombre d’internautes ont ainsi surveillé l’activité solaire en temps réel pour voir quand commencerait la super éruption qui devait nous anéantir. Ce pic montre à quel point les croyances influencent les comportements dans nos sociétés.
I°/ LA MATIERE, L’ESPACE, LE TEMPS ET… LE RESTE
1°/ La matière, l’espace et le temps
Le but n’est pas du tout ici de refaire l’inventaire de toutes les particules qui existent ou de tous les types d’astres qui existent. Ni même de rappeler que nous n’observons que 4 % de la masse constituant l’univers, la matière noire et l’énergie sombre nous restant pour le moment inaccessibles. Nous avons d’ailleurs encore accès à une bien moins grande proportion de tout l’espace constituant l’univers ainsi que de tout son temps. Précisons juste avant de continuer que je ne parle pas ici de l’univers « observable » (13,7 milliards d’années-lumière de rayon autour de nous) mais bien de l’univers. Les livres de science font cela bien mieux que tout ce que je pourrais faire ici.
Notre but est ici plutôt d’appréhender l’univers d’une manière plus philosophique, en nous concentrant sur l’existence des choses.
On va dans un premier temps faire abstraction du Mythe de la Caverne de Platon ou de l’objection de Descartes qui finit par admettre qu’en réalité, nous ne pouvons pas être sûrs de l’existence du monde que nous observons, mais juste de notre propre existence « intérieure » d’où peut-être l’une des seules certitudes absolues que nous ne pourrons jamais avoir : celle de l’existence de notre propre pensée avec le fameux : « Je pense, donc je suis ! ».
Nier l’existence du monde que nous observons et dans lequel nous vivons ?
En voilà une idée étrange ! Et pourtant si puissante qu’encore aujourd’hui, si on se pose la question, on finit par admettre que l’existence du monde dans lequel nous vivons ne peut être établie avec certitude. Nous avons d’ailleurs des versions très modernes du Mythe de la Caverne de Platon avec des films de science fiction comme Matrix, dont l’idée de base est que nous vivons tous dans un monde simulé appelé « La Matrice », où toutes nos perceptions, tous nos ressentis et toutes nos émotions sont elles aussi simulées…
Mais supposons ici, en vertu du principe central de tout notre essai philosophique, celui du rasoir d’Ockham (voir plus loin), que le monde que nous observons avec nos 5 sens est bien réel. Si tel n’était pas le cas, il nous faudrait supposer l’existence d’une grande machine qui simulerait ce monde observé, ou d’une autre réalité qui serait « projetée » dans notre « espace » appréhendé par nos sens, ce qui compliquerait le nombre minimal de constituants de notre monde, contrairement à ce que nous dicte le principe du rasoir d’Ockham.
Pour essayer de saisir cette notion, nous allons imaginer un bol de thé. Demandons à un jeune enfant ce que contient ce bol : il répondra : « Ben… du thé ! ».
Vidons à présent ce bol et redemandons à l’enfant ce que contient le bol. Il risque de répondre un peu agacé, ou avec l’impression qu’on se moque de lui : « Ben rien du tout ! Tu vois bien qu’il est vide ! » Si on pose la même question à un collégien ou à un lycéen, il devrait normalement répondre : « Il contient de l’air ! ». Proposons maintenant à cet élève de secondaire une « expérience par la pensée ». Disons-lui qu’on amène ce bol dans l’espace, vide d’air et redemandons-lui alors ce que contient le bol. S’il a un bon niveau en physique, il devrait répondre : « De l’énergie sous forme d’onde ou de photons. » Proposons-lui maintenant de poursuivre l’expérience par la pensée et disons-lui qu’on a enlevé toute l’énergie de l’intérieur de ce bol. Il risque fort de répondre à notre question désormais habituelle : « Ben cette fois-ci, il est vraiment vide ! ». Faisons à présent de même avec un étudiant en physique. Après un temps de réflexion, ce dernier devrait répondre : « Il est effectivement vide de matière et d’énergie, mais il est encore rempli d’espace et de temps… ».
Pourrions-nous essayer d’imaginer un « endroit » vraiment vide de tout cela : vide de matière, d’espace et de temps ? C’est, si j’ai bien compris, ce qu’on appelle le fameux « néant » en philosophie.
Ajoutons d’ailleurs que le modèle du Big Bang (en réalité il existe une trentaine de modèles du Big Bang) précise bien que le temps est né « à ce moment-là », ainsi que l’espace. Du coup il devient erroné de s’imaginer une « explosion » vue de l’extérieur, étant donné qu’il ne peut pas exister d’espace en dehors de l’univers qui par définition contient tout l’espace qui existe. Et il devient aussi insensé de demander ce qu’il y avait avant le Big Bang, « l’avant » ne pouvant exister. Puisque le temps a commencé avec le Big Bang, il ne pouvait pas s’écouler avant et par définition, l’univers qui est « tout » doit donc contenir tout le temps. Mais par abus de langage, on est bien obligé de poser la question en employant le mot « avant » : « Qu’y avait-il avant le Big Bang ? » devrait donc être formulé : « Qu’est-ce qui a précédé la matière, l’espace et le temps ? ».
Certains scientifiques de haut niveau comme Carlo Rovelli, un des pères de la théorie de la « gravitation quantique à boucles » osent poser cette question. Dans le cadre de cette théorie, on peut supposer que la phase « post-big bang » de l’Univers ne représente qu’une partie de son histoire. Cette théorie permet notamment d’éviter de considérer des notions absurdes en physique comme des densités infinies…
Attention, je tiens à préciser que nous ne discutons pas ici de la nature de la matière (ordinaire ou noire ou même encore autre chose !) ou de l’énergie (ordinaire ou sombre). Nous ne discutons pas non plus la nature continue de l’espace comme en relativité générale ou discrète de l’espace comme dans le cadre de la théorie de la gravitation quantique à boucles, ni le nombre de dimensions de l’espace. Nous ne discutons pas non plus de la nature ou des propriétés du temps qui lui aussi peut être continu ou discret suivant les théories. D’ailleurs, la physique actuelle ne nous présente que des « modèles » et ne prétend aucunement nous présenter un modèle qui serait la « Vérité », voir à la fin de l’essai philosophique dans la partie « la force de la science ». Nous supposons que la matière, l’espace et le temps, tous les trois pris au sens très large existent, sans vraiment nous préoccuper de leur nature.
Montrons à présent à quel point, matière, espace et temps sont liés.
Imaginons d’abord que l’espace n’existe pas. S’il n’existe pas, rien ne peut s’y déplacer. Donc rien ne peut bouger. Donc tout est figé ? Par conséquent, le temps ne peut pas s’écouler : il cesse d’exister !
On peut faire le raisonnement dans l’autre sens.
Imaginons que la matière ou l’énergie n’existent pas. Il n’y a donc plus rien qui ne puisse bouger et donc, là aussi, tout serait figé ce qui ferait disparaître toute notion de temps.
Ou encore, voici un troisième raisonnement.
Si le temps n’existait pas, tout serait figé et donc rien ne pourrait plus bouger dans l’espace. Par conséquent tout se passerait comme s’il n’existait pas puisque rien ne peut s’y déplacer.
Et bien cette « trinité » matière-espace-temps est justement l’objet d’étude de ce qu’on appelle la « physique ». La quasi totalité des équations de la physique nous décrivent le comportement de la matière ou de l’énergie, puisqu’il y a équivalence entre les deux (E=mc²), dans l’espace ou (et) le temps.
L’homme a créé des universités de sciences physiques dont les objets d’étude sont les « entités matérielles » dont l’existence reste en toute rigueur hypothétique (Descartes) : la matière, l’espace et le temps.
Les chercheurs de nos universités observent l’univers à l’aide de différents instruments pour essayer de faire l’inventaire de toute la matière qui emplit l’espace et évolue dans le temps. Et cela n’est pas simple, puisqu’on sait que nous n’observons directement aujourd’hui que 4% de la masse qui constitue la matière de l’univers. Ainsi, la matière noire et l’énergie sombre, si elles existent, échappent encore aux moyens d’observations dont nous disposons aujourd’hui. Cette photo a été prise par le télescope Hubble.
2°/ Le reste
Essayons maintenant d’imaginer l’existence de quelque chose qui ne serait pas matériel, hors de l’espace et hors du temps…
A) Premier candidat : le nombre
C’est pour moi le premier candidat qui me vient à l’esprit, étant donné ma passion pour la théorie des nombres et plus particulièrement pour les suites aliquotes.
Les nombres existent-ils ?
C’est une question vieille de plusieurs siècles.
Et pour être honnête, dans l’absolu, nous ne sommes pas plus sûrs de l’existence des nombres que de celle du monde dans lequel nous vivons, voir plus haut. On peut avoir un doute sur l’existence de tout (Descartes) !
Il y a deux écoles en ce qui concerne cette question philosophique.
Il y a un courant de pensée qui a probablement été initié par Platon, le courant des « platoniciens » qui supposent que les nombres existent. Ce courant de pensée suppose même que le « monde des idées » a un degré d’existence plus fort que celui du monde matériel.
Un autre courant de pensée initié celui-là par Aristote, le courant des « formalistes » considère que les nombres n’ont qu’une existence « potentielle », existence qui devient effective quand une pensée comme celle des humains les conçoit. C’est un peu comme quand on demande quelle est la structure d’un bateau ? Et qu’on attend la réponse : « L’idée qui l’a conçu », ne parlant pas du tout de sa structure matérielle.
Il est important de préciser ici que les très grands mathématiciens actuels appartiennent aux deux courants : il y a ceux qui ont l’impression de découvrir un univers à part entière pré-existant à l’homme quand ils font des mathématiques et il y a ceux qui ont une vision « constructiviste » des mathématiques. Kurt Gödel appartenait au premier groupe et les bourbakistes au deuxième. Cela n’enlève rien à la performance du mathématicien.
Quant à moi, je suis très clairement platonicien. Je suis donc en quelque sorte un « croyant » et je crois en l’existence des nombres comme des entités « réelles » soit, mais non matérielles. Et je sais que je peux me tromper, mais malgré mes efforts, j’ai du mal à comprendre qu’on puisse être formaliste.
Mais que l’on soit platonicien ou formaliste, on doit bien admettre une chose : si Tintin n’avait pas été inventé par Hergé, il eut été peu probable que quelqu’un d’autre ne l’inventât.
Il n’en est pas de même pour par exemple les nombres entiers, les nombres premiers ou π. Des civilisations isolées depuis la nuit des temps se sont mises à inventer ou à découvrir (selon qu’on soit formaliste ou platonicien) les nombres et à les représenter de diverses manières, ce qui me convainc moi qu’en fait, on les découvre, mais qu’on ne les invente pas.
Mais on ne peut pas vraiment savoir « ce que sont les nombres ». On peut juste connaître leurs « qualités » ou leurs « attributs » : ils peuvent être pairs, impairs, premiers, somme de deux nombres premier, carrés parfaits… Et ce n’est en aucun cas l’homme qui décide de ces propriétés : il ne peut que les découvrir, à condition toutefois qu’il se pose la question. Et surtout, les propriétés de chaque nombre sont indépendantes de la représentation que l’on a du nombre. On peut l’écrire en base 2, 10, 60, on trouvera toujours les mêmes propriétés. Attention, on ne parle pas là des propriétés liées à la base comme « Les nombres dont la somme des chiffres sont tous des 2 ». Ainsi, la représentation la plus juste de par exemple le nombre 28 serait « vingt-huit » pour éviter toute confusion. Mais il est bien plus aisé de trouver ensuite ses propriétés lorsqu’on le représente dans une base de notre choix avec une numération par position qui va ensuite nous permettre de faire des calculs.
Dans le monde scientifique, on prend comme allant de soi que s’il existait une civilisation extraterrestre intelligente, elle connaîtrait les nombres premiers ou π.
Le platonicien considère qu’elle les a découverts avec un instrument de calcul : notre cerveau ou un ordinateur, un peu comme on découvre une galaxie à l’aide de son œil ou d’un télescope.
Comme le télescope observe l’univers physique et matériel, l’ordinateur observe le monde des nombres existant en dehors de l’homme.
PIRE QUE CELA : les nombres, s’ils existent ne sont pas matériels, ils sont hors de l’espace et du temps, ou plutôt omniprésents dans l’espace et le temps. L’entier 4007 est un nombre premier. Si un homme préhistorique s’était posé la question il y à 50000 ans, il aurait trouvé le même résultat et si un être intelligent se pose cette question à l’autre bout de l’univers, il trouvera lui aussi ce même résultat.
ENCORE PIRE : Si nous supposons l’existence d’un être intelligent infiniment puissant comme celui que de nombreuses civilisations appellent « Dieu », on tombe sur une contradiction. En effet, aussi puissant soit cet être, il ne pourra rien changer à la vérité mathématique « 4007 est un nombre premier » ou alors par exemple à l’autre vérité « 1+1=2 ». Ceux qui supposent que Dieu existe et qu’il est le créateur de l’univers matériel doivent admettre qu’il n’est pas le créateur des nombres et qu’il ne peut en changer les propriétés.
Saint Thomas d’Aquin, un grand théologien du XIIIème siècle, constatait déjà cette impossibilité de la toute puissance du Dieu en lequel il croyait par rapport aux lois mathématiques : « Dieu peut-il faire qu’un cercle devienne un carré ? ».
Si les platoniciens ont raison, ce que je pense, les nombres existent et sont un Absolu au sens philosophique : ils sont indépendants de toute relation avec autre chose, c’est-à-dire, ils existent « en soi » indépendamment de la représentation qu’on en a (« chose en soi de Kant ») et ils existent par eux-mêmes et n’ont besoin de rien d’autre pour exister (substance « causa sui » de Spinoza, mais que ce dernier nomme « Dieu »).
Ainsi il n’est pas étonnant que les nombres aient et puissent encore aujourd’hui être confondus avec des dieux et aussi que la numérologie soit encore aussi présente aujourd’hui : on peut avoir une approche « mystique » des nombres. Moi, j’en aurais plutôt une approche « matérialiste » les voyant « figés » et sans « pensée ou pouvoirs ».
Précisons pour finir notre chapitre sur les nombres, que dans le milieu de l’enseignement, on parle souvent pour un élève de son « sens du nombre ». A partir d’un certain âge, l’être humain commencerait à pouvoir appréhender cette « entité » non matérielle qu’est le nombre à l’aide d’un sens, par analogie aux 5 sens permettant d’appréhender le monde physique. Kurt Gödel croyait vraiment qu’un tel sens du nombre existe chez l’homme.
L’homme a créé des universités de mathématiques dont l’objet d’étude est l’hypothétique entité que l’on nomme « nombre ».
Salvador Dali a peint cette œuvre remarquable : « la bataille de Tetouan ». Il y a partout dissimulé des nombres, je n’ai même jamais réussi à les compter. Pensait-il qu’ils font partie de notre univers au même titre que tout le reste ?
B) Deuxième candidat : l’Esprit ou Dieu
Ce deuxième candidat pour exister en dehors du monde physique de la matière, de l’espace et du temps vient bien entendu très naturellement à l’esprit. Il s’agit de l’esprit ou de l’âme, cette chose supposée en plus de la matière dans un corps humain qui fait que l’homme soit un homme avec sa conscience, ses émotions…
En fait, admettre l’existence de l’âme revient probablement à admettre l’existence de l’esprit de Dieu, encore que je puisse bien imaginer des personnes qui croient en l’âme humaine sans croire en Dieu !
Mais alors là attention !
Il nous faut bien préciser de quel Dieu nous parlons.
Déjà, comme nous l’avons entrevu plus haut, il ne peut s’agir d’un Dieu infiniment puissant auquel rien n’est impossible. 1+1=2 et ce Dieu ne pourra rien y changer. Voir aussi cette page qui traite largement de la question.
Ensuite, il n’est pas non plus question de croire qu’un tel Dieu aurait créé le monde en 7 jours et que la Terre est plus vieille que les étoiles, ce qu’affirme les théories créationnistes en prenant de manière naïve les Livres Saints à la lettre. Les créationnistes remettent en question la théorie scientifique de l’évolution aujourd’hui avérée.
Il n’est pas plus question ici de prendre comme vérité un créationnisme beaucoup plus subtil, donc beaucoup plus dangereux : le dessein intelligent. A savoir, que l’univers est muni des lois telles qu’elles sont pour aboutir à l’émergence de l’homme et que cela était écrit ou programmé dès le départ par une intelligence qui serait de toute évidence le Dieu créateur.
Ces idées de Dieu sont bien trop simplistes pour être prises au sérieux ici.
Mais alors, si Dieu devait exister, que saurait-on sur lui ?
Les religieux répondront immédiatement : « Nous savons de Dieu ce que nous en disent les Saintes-Ecritures ».
Mais cela pose un problème réel. En effet, ces livres sont si anciens, ont été tellement traduits d’une langue à une autre, et peuvent être interprétés de tellement de manières différentes… Et de là à croire qu’ils ont été dictés par le vrai Dieu et non écrits par des pensées humaines…
Personnellement, il ne me paraît pas très honnête intellectuellement de croire sans se poser de questions que ces livres (Bible, Coran) soient des écrits autres que des écrits dictés par la seule pensée humaine. D’ailleurs, ces écrits ne devraient pas avoir plus de valeur que les écrits de Confucius ou que des écrits bouddhistes tout aussi sages, me semble-t-il ! Où sont les arguments logiques qui me laisseraient penser que ces deux livres n’ont pas été écrits par des hommes ?
Il y a une approche de la notion de Dieu qui me paraît plus lucide : la théodicée. C’est la connaissance de Dieu telle qu’elle peut être établie par la théologie naturelle, c’est-à-dire selon les seules lumières de la raison. Le mot « seules » est ici fondamental.
Ainsi, on apprend que si l’on ne sait pas exactement qui et comment est Dieu, on peut connaître certaines de ses qualités qu’on appelle les « attributs de Dieu ». Les différents attributs de Dieu sont : l’omniprésence, l’omniscience, l’omnipotence, l’immuabilité, la sainteté, la justice, la vérité, l’amour, la bonté, la bienveillance, la grâce de Dieu, la patience. Nous ne développerons pas ici tout cela, le lecteur intéressé trouvera tout ce qu’il voudra sur Internet sur les attributs de Dieu…
Signalons toutefois que récemment, Jean-Paul Delahaye, mathématicien, a publié un article qui devrait être très troublant pour un théologien et qui semble affirmer que la logique en tant que discipline mathématique semble interdire l’existence d’un être omniscient.
Il n’est pas du tout évident de s’y retrouver au travers de toutes ces notions philosophiques.
Tentons malgré cela de trouver pourquoi nous pourrions avoir besoin de faire l’hypothèse de l’existence de Dieu.
Mais de quel Dieu ?
Un Dieu qui serait réduit au minimum nécessaire.
Qu’entend-on par là ?
Quand Napoléon demanda à Pierre Simon de Laplace pourquoi il ne mentionna pas Dieu dans son traité de cosmologie, celui-ci répondit : « Sir, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse ». On pourra voir cette page pour développer cette idée.
Le Dieu des théologiens qui ont vraiment réfléchi à la question n’est donc pas infiniment puissant. Il n’est peut-être même pas nécessaire pour faire tourner l’univers ou pour le créer !
Mais alors à quoi peut-il bien servir ?
Dans un être humain, il ne serait qu’une petite composante, ce qui donnerait à l’homme le sentiment.
Le sentiment et pas la raison, nous le verrons plus loin…
Mais nous reviendrons là-dessus lorsque nous aborderons la notion de propriétés émergentes.
Notons que les théologiens eux aussi parlent volontiers de « sens de Dieu », un peu comme si nous développions un sens pour appréhender Dieu, cet être qui pour eux existerait en dehors de la matière, de l’espace et du temps, et… du nombre.
L’homme a créé des universités de théologie dont l’objet d’étude est l’hypothétique entité que l’on nomme « Dieu ».
Les hommes ont toujours représenté leurs dieux sous des formes anthropomorphiques, comme ici le dieu grec de la mer Poséidon. Ils en ont très souvent fait de même avec le Dieu unique des religions monothéistes. Pourtant, ce Dieu unique ne doit pas avoir de corps matériel…
C) D’autres candidats : Le Beau, les Lois…
Pour trouver d’autres candidats de choses non matérielles qui pourraient exister en dehors du monde physique, on pourrait faire le chemin inverse et voir quelles universités existent à travers le monde et quels sont leur objet d’étude.
Il existe des écoles ou des universités des Beaux Arts où l’on étudie peinture, musique, sculpture, cinéma… La notion abstraite qui se cache derrière tout cela est peut-être ce que l’on appelle le « Beau ». Mais on pourra tout de suite rétorquer que rien n’est beau s’il n’y a personne pour le trouver beau. Le degré de beauté d’une œuvre d’art peut-il être mesuré de manière objective ? Je ne suis pas un spécialiste de la question, mais je ne répondrais pas aussi rapidement par la négative, avant de voir ce qu’un jour une intelligence artificielle pourra créer comme œuvre d’art.
Il existe des universités de droit dont les objets d’étude seraient ce que l’on nomme les « Lois ». Elles aussi semblent tout droit sorties de l’esprit humain. Et pourtant, par les seules lumières de la raison, tout être intelligent et même non humain devrait arriver à la conclusion qu’il ne faut pas voler le bien d’autrui, ne pas le tuer… Et d’ailleurs les Livres Saints disent que Dieu révèle les Lois aux hommes, pas qu’il les invente ou les crée. Signalons au passage que des groupes humains polythéistes ou même sans aucun Dieu, athées et simplement laïques ont eu aussi découverts les lois nécessaires pour pouvoir bien vivre ensemble. On peut aussi se demander si des automates trouveraient ces lois naturelles ?
Quant aux universités de biologie, qui étudient des organismes biologiques, on rappellera que la biologie n’est que la physique de l’ultra complexe.
Et pour les universités de sociologie, leur objet d’étude étant une société d’individus biologiques, on ne fait que faire de la physique à un stade de complexité encore supérieur à celui de la biologie…
Ce paysage est-il beau ? Beaucoup devraient répondre par l’affirmative ! Qu’est-ce qui fait qu’il est beau ? Un minimum de complexité ? Mais cela ne suffit pas, voire n’est même pas forcément nécessaire. Un cadre présentant une couleur uniforme peut être qualifié de beau, pour peu qu’il ait un effet physiologique sur celui qui le regarde. Quand la lumière inonde la rétine, cela peut donner du plaisir. Et il n’y a pas seulement l’œil, l’oreille ou les organes sensoriels qui peuvent révéler le beau. Un concept mathématique peut aussi être beau. Le Beau est une notion complexe. Peut-on le quantifier ?
CONCLUSION SUR LA MATIÈRE, L’ESPACE, LE TEMPS ET LE RESTE
La matière, l’espace, le temps d’un côté, soit le monde physique, d’une existence presque certaine, quoique, un petit doute sur cette existence subsiste…
Le nombre, l’esprit, le beau, les lois d’un autre côté, soient 4 entités du monde des idées, peut-être des Absolus indépendants les uns des autres.
Et nous pourrions avoir des raisons de supposer l’existence de ces 4 entités du monde des idées parce qu’elles semblent nécessaires pour faire un homme qui manifestement existe.
Que faut-il pour faire un homme ?
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Un corps matériel à coup sûr. Qui le niera ?
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Du nombre pour raisonner, car un programme est un nombre (Jean-Paul Delahaye). Un ordinateur vide de logiciel ne sert à rien. Idem pour un corps humain, il lui faut un programme, une mémoire, etc… La capacité humaine à raisonner relève du seul agencement matériel du corps humain, voir plus loin…
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Des lois, car un homme seul ne peut exister. Il ne peut qu’exister en société.
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Du beau. Que deviendraient nos vies sans l’art ? Pourrions-nous seulement vivre sans ? Peut-être tout juste survivre…
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De l’esprit, donc Dieu, si l’agencement complexe de la matière du corps humain ne permet pas d’expliquer la capacité des hommes à aimer, à haïr, à avoir peur…
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Et peut-être d’autres choses oubliées…
Un homme serait-il un concentré de toutes ces entités, de tous ces Absolus ?
Peut-on se passer de l’hypothèse de l’existence et encore réduire le nombre « d’ingrédients » nécessaires pour faire un homme, comme nous le dicterait le principe du rasoir d’Ockham (voir plus loin) ?
Peut-il exister des êtres intelligents encore plus complexes que l’homme (extra-terrestres, civilisations de type IV de Dyson et Kardashev, anges), nécessitant encore plus « d’ingrédients » non matériels existants que nous ne pouvons même pas imaginer ?
On s’y perdrait !!!
Si je devais donc classer ces éléments du monde réel et du monde des idées selon leur probabilité d’existence, je les classerais dans cet ordre :
La matière, l’espace et le temps existent presque à coup sûr et une très faible partie de l’humanité doute de leur existence. Et l’on peut étudier les propriétés de la matière, de l’espace et du temps de manière relativement objective.
Les nombres existent peut-être et le nombre de ceux qui le pensent doit être du même ordre de grandeur que ceux qui pensent le contraire. Et l’on peut étudier les propriétés des nombres de manière relativement objective, suivant le système formel dans lequel on se place.
L’esprit, l’âme ou Dieu existent peut-être, mais si le nombre de croyants en des esprits ou en des dieux est certainement très élevé, je crains qu’il y ait presque autant de dieux différents que de croyants. Cela nous laisserait plutôt penser que tous ces dieux pourraient être une création du cerveau de ceux qui y croient, leurs caractéristiques, leurs attributs, leurs qualités et leurs pouvoirs étant si différents de l’un à l’autre.
Pour ce qui est du Beau, des Lois ou d’autres éventuels Absolus, d’ailleurs peut-être en nombre infini, je ne dirais rien du tout n’ayant pas assez réfléchi à la question…
Pour résumer, disons les choses ainsi :
L’idée de l’existence de la matière, de l’espace et du temps est non absurde, voire très raisonnable, voire même obligée.
L’idée de l’existence des nombres est non absurde, voire raisonnable.
L’idée de l’existence de Dieu est non absurde.
Faisons donc ici l’éloge du doute et comprenons qu’on n’a pas le droit de se moquer d’un croyant en l’existence de l’univers, mais pas non plus d’un croyant en l’existence des nombres ou d’un croyant en l’existence d’un Dieu unique et pensant. On ne parle pas ici du Dieu des « naïfs » comme on en a parlé plus haut.
Mais dans l’univers, il existe un outil capable de comprendre les relations entre tous ces éléments du monde réel ou du monde des idées, pour peu qu’ils existent : l’intelligence. Et l’homme n’est probablement pas le seul être à pouvoir en être doté !
L’Italien Raphaël a peint ce tableau « L’école d’Athènes » vers 1510. A gauche, on peut voir Platon, qui désigne le ciel, symbole du monde abstrait des idées. A droite, on peut voir Aristote qui désigne la terre, symbole du monde matériel d’ici-bas.
II°/ LES PROPRIETES EMERGENTES DE LA MATIERE, L’INTELLIGENCE HUMAINE, ANIMALE ET ARTIFICIELLE
Pour saisir ce concept, nous allons prendre l’exemple de plusieurs molécules d’eau. Si on les prend seule à seule, soit une seule molécule, cela n’a aucun sens de dire que cette molécule est solide, liquide ou gazeuse. Si l’on prend un ensemble de 1000 molécules d’eau, on peut alors dire qu’on est en présence d’un solide, d’un liquide ou d’un gaz. Ainsi les propriétés solides, liquides et gazeuses sont des propriétés émergentes de la matière.
Il y a un nombre immense de propriétés émergentes dès que les molécules deviennent plus complexes.
On va prendre quelques raccourcis et on va partir du principe que la propriété « vivante » est une des propriétés émergentes de la matière, si on l’organise de la bonne manière.
Nous n’allons pas ici discuter cela, les définitions de la vie étant elles aussi légion. Cela nous mènerait trop loin et d’ailleurs, la question n’est pas encore tranchée.
Précisons juste que les virus sont considérés comme vivants par certains scientifiques, alors que pour d’autres, ils doivent être considérés comme de la matière inerte. Cela montre bien que la frontière entre l’inerte et le vivant n’est pas nette et cela est peut-être lié au fait que personne ne trouve de définition de la vie qui satisfasse tout le monde.
Bien des personnes objecteraient que les lois physiques sont bien trop simples pour à elles seules engendrer des comportement aussi complexes que ce que l’on observe dans les systèmes vivants, et donc qu’il faut plus dans un système vivant que simplement de la matière ! J’invite ces personnes à aller sur Internet et à contempler la complexité de l’ensemble de Mandelbrot, une figure fractale engendrée par un programme qui fait juste quelques lignes à l’aide d’une simple petite formule. Si elles ne sont toujours pas convaincues, je les inviterais à rechercher toujours sur Internet les possibilités qu’offrent le « jeu de la vie » des automates cellulaires de John Convay basé sur 3 simples règles. Des systèmes très complexes peuvent y être simulés. Quant à ceux qui disent par exemple qu’une « intelligence guide les abeilles de la ruche dans leur but et coordonne leurs actions toutes différentes pour atteindre ce but », je rétorquerais aussi d’aller voir sur Internet quels travaux ont été réalisés avec des groupes de petits robots programmés avec des instructions très simples et dont la société semble travailler pour atteindre un but très compliqué, ordonné, dont on dirait qu’une « intelligence supérieure » les guide, alors qu’ils ne sont pas du tout programmé pour cela au départ !
On va prendre un autre raccourci, une fois de plus, et l’on va considérer que si l’on monte encore de quelques degrés dans la pyramide de la complexité, on va avoir une autre propriété émergente de la matière qui va être l’intelligence. On justifiera plus loin pourquoi il semble raisonnable de prendre un tel raccourci.
Mais là encore une fois, nous avons de très sérieux problèmes dès que nous voulons définir le mot « intelligence », tant elle peut se révéler sous des formes différentes. Nous n’allons donc pas tomber dans ce piège de donner une définition de l’intelligence, cela étant impossible à faire de manière satisfaisante. De plus, nous ne pourrions jamais faire mieux que ce que l’on trouve par exemple sur cette page.
Précisons juste au passage qu’on a ce problème de définition avec des notions déjà bien moins complexes, car purement physiques. Saint Augustin disait à propos du temps :
« Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus. »
Ce n’est pas parce qu’on ne peut pas définir une chose qu’il faut s’interdire d’en parler !
Je voudrais par contre montrer que la frontière entre trois intelligences dont nous parlons couramment devient de plus en plus floue, voire inexistante et ce sera la base de tout notre raisonnement pour la suite.
1°/ L’intelligence humaine
Il ne viendrait à personne aujourd’hui de discuter le fait que l’homme est un être intelligent, encore qu’on peut se poser la question si c’est vraiment le cas quand on regarde un journal télévisé ! Ayant du mal à définir une notion aussi complexe, on a différencié plusieurs formes d’intelligence qui font intuitivement comprendre, sans rentrer dans les détails de quoi il s’agit.
Ainsi, Gardner a énoncé une théorie des intelligences multiples où il distingue une intelligence logico-mathématique, une intelligence linguistique, une intelligence intra-personnelle, une intelligence musicale et bien d’autres…
Attention, il y a une différence entre un être intelligent et un être sage !
Ainsi, le philosophe Michel Serres dit bien que si l’intelligence d’une espèce va en augmentant, sa capacité à être sage en fait de même, mais aussi sa capacité à commettre des horreurs toujours plus atroces…
2°/ L’intelligence animale
Dans le très célèbre film de science fiction de Stanley Kubrick, « 2001 l’odyssée de l’espace« , on voit un ancêtre de l’homme qui découvre l’outil : il brandit un os et découvre qu’il peut s’en servir comme d’une arme, ce qui lui donnera le pouvoir sur les autres animaux. Il lance cet outil dans le ciel qui se transforme alors en vaisseau spatial. D’un certain point de vue, cet os qui sert d’arme et ce vaisseau spatial qui permet d’aller sur une base lunaire sont tous les deux des outils sauf que l’un est très « simple » et l’autre très « sophistiqué ». Mais il ne faut pas oublier que la distance évolutive entre l’inventeur de cette première arme et celui de ce vaisseau spatial est très petite à l’échelle de l’évolution entière. Et cela, Kubrick nous le montre merveilleusement en nous faisant voir ces ancêtres de l’homme démunis et complètement dépassés par le monolithe noir devant lequel ils se trouvent. Et plusieurs dizaines de milliers d’années plus tard, en 2001, alors que l’homme marche sur la Lune, lorsqu’il y découvre le monolithe noir, il a exactement la même réaction face à celui-ci, un peu comme si son degré d’avancement technologique n’avait pas bougé en « si peu de temps ». Cela est normal, le monolithe noir étant la forme « concrète » de proportion parfaites 1 – 4 – 9 (les carrés des trois premiers entiers) que prennent des êtres quasi « divins » pour se montrer aux hommes tellement primitifs et encore « prisonniers » de la matière, de l’espace et du temps. Ces êtres quasi divins réussissent d’ailleurs aisément à se déplacer dans le temps, ce qui est montré par le personnage David Bowman qui devient tantôt vieillard, tantôt embryon. La fin du film est pleine d’allusions à la relativité d’Einstein et s’inscrit dans le mouvement psychédélique de l’époque. Le monolithe noir représente une civilisation de type IV de Dyson et Kardashev selon la nomenclature des civilisations intelligentes possibles dont nous parlions plus haut. Il ne s’agit pas de simple science fiction, mais d’un concept très sérieux.
Stanley Kubrick nous montre le monolithe noir en contre plongée pour nous faire comprendre à quel point il domine et dépasse l’ancêtre de l’homme et l’homme moderne. Le monolithe noir est la « matérialisation », pour ne pas dire « l’incarnation » d’un être tellement avancé qu’il n’a même plus de corps matériel.
Mais surtout à l’époque où a été tourné 2001 (en 1968), on pensait que ce qui différenciait l’homme de l’animal était le fait que l’un utilise des outils, contrairement à l’autre. Or, aujourd’hui, on sait que cela est complètement faux puisque les chimpanzés, les corvidés, les perroquets et d’autres animaux utilisent des outils.
Stanley Kubrick nous montre l’ancêtre de l’homme qui découvre l’outil, qui va lui donner la possibilité de dominer l’animal, le rendant ainsi supérieur. Quiconque n’a encore jamais vu le film « 2001 l’odyssée de l’espace » doit rapidement combler cette lacune, tant l’oeuvre est pleine de références.
On peut trouver des milliers de références sur ce sujet sur le Net, comme par exemple sur cette page.
Qu’importe, dans les années qui ont suivi, les spécialistes ont changé d’avis. Ils ont alors affirmé que seuls les hommes méditaient devant leurs morts. Mais plus tard, ils s’aperçurent que les éléphants et les chimpanzés semblent en faire autant. Ils dirent alors que seuls les hommes sont capables de se réunir pour châtier un de leur collègue qui a fait une erreur mettant en péril le groupe dans lequel il vivait. Et on a observé des chimpanzés faisant de même. Seuls les hommes ont le sens du nombre ? Et bien non, les grands singes aussi et d’ailleurs ils réussissent bien plus rapidement à classer des nombres dans l’ordre croissant que le plus entraîné des humains, comme on l’a montré au Japon. Alors, c’est peut-être le langage qui différencie l’homme de l’animal ? Cela aussi semble être remis en question, les animaux semblant avoir leurs langages, parfois si complexes qu’on ne comprend pas. On commence même à admettre qu’une pensée abstraite est possible sans le langage : cela est vrai pour les bébés humains mais aussi pour les animaux.
En résumé, disons que plus on avance et on réfléchit à la question et moins on comprend ce qui fait la différence entre l’homme et l’animal. D’ailleurs, il n’y en a peut-être pas et si l’homme en est où il en est, c’est parce qu’il a eu le temps d’en arriver là. Et si l’homme n’avait pas été là, ce serait peut-être les descendants des chimpanzés qui dans 2 ou 3 millions d’années auraient écrit des articles tels que celui-ci. La distance évolutive entre nous et le chimpanzé est extrêmement faible et seuls 1,5 % de nos codes génétiques sont différents.
Et le plus affolant, c’est qu’on aura probablement anéanti les grands singes avant même d’avoir compris tout ce dont ils sont capables.
Malgré ces faits scientifiques, que voulez-vous répondre à une personne avec laquelle vous avez entamé cette discussion et qui vous rétorque : « T’as déjà vu un singe fabriquer un ordinateur toi ? ». Ce genre de réflexion m’a un jour cloué net la parole !
3°/ L’intelligence artificielle
Pour introduire le sujet, nous allons parler non pas de HAL dans « 2001 l’odyssée de l’espace », mais d’un autre film de science fiction qui traite plus spécifiquement de l’intelligence artificielle. Il s’agit de « Blade Runner » de Ridley Scott, tiré du roman « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? » Le film est sorti en 1982 et l’histoire se déroule en 2019 à Los Angeles. Des êtres artificiels, les réplicants, sont utilisés pour faire les travaux dangereux sur les autres planètes à la place des humains. Mais 4 de ces êtres se sont échappés et il va falloir les « retirer » de la circulation : c’est le travail d’une unité spéciale de la police de l’époque : les Blade Runners. Mais comme ils ressemblent en tous points à des humains, il va bien falloir les différencier de ces derniers. Il existe un test qui s’appelle test de « Voight Kampff » qui consiste à poser des questions à l’être testé dans le but de déclencher une réponse émotionnelle qui va être différente pour un réplicant et pour un humain. Mais pour rendre les réplicants « émotionnellement stables », la Tyrell corporation (leur créateur) a trouvé un moyen qui consiste à y implanter des souvenirs d’enfance d’humains dans leur mémoire. Et par sécurité, on a inséré des gènes d’une personne atteinte d’une maladie rare de « vieillissement accéléré » afin que les réplicants meurent au bout de 3 ou 4 années de bons et loyaux services. Ce qui n’a pas été prévu, c’est que ces réplicants vont spontanément se mettre à avoir peur de la mort et même tomber amoureux, sans qu’ils n’aient été programmés pour cela ! Commence alors une longue quête qui mènera ces êtres artificiels chez le créateur de leurs yeux à qui Brice dira : « Si vous aviez pu voir ce que j’ai vu avec vos yeux ! » Et quand il rencontre son père créateur, le docteur Tyrell, Brice lui dit : « Je pense, donc je suis » et aussi « Je veux plus de vie, père ! ». A la fin, avant de mourir, alors qu’il vient d’épargner la vie de celui qui devait le retirer de la circulation (Le Blade Runner Deckard magistralement incarné par Harrison Ford), il se met même à réciter un poème magnifique : « J’ai vu tant de chose que vous humains ne pourriez pas croire.
De grands navires en feu surgissant de l’épaule d’Orion.
J’ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la porte de Tannhauser.
Tous ces… moments se perdront… dans l’oubli,
comme… les larmes… dans la pluie… ».
J’ai longtemps cherché à comprendre les paroles de ce poème, composé par une machine (dans le film, pas dans la réalité !), donc qui devait être sensé. Je n’ai compris que bien plus tard que les auteurs du film ont voulu montrer que la machine était devenue capable de composer un poème tout simplement… poétique et beau, comme un humain !
Mais tout en devenant quasiment humains, voire même plus humains que les humains, les réplicants deviennent aussi capables d’une violence et d’une cruauté extrêmes ! D’où des scènes très violentes. On rejoint là l’idée de Michel Serres énoncée plus haut !
Après ce bref résumé qui a pour but de donner envie au lecteur de voir ce chef-d’œuvre absolu très philosophique, introduisons à présent la notion de « Test de Turing ». La page de Wikipedia explique à merveille ce qu’est le test de Turing :
« Le test de Turing est une proposition de test d’intelligence artificielle fondée sur la faculté d’imiter la conversation humaine. Décrit par Alan Turing en 1950 dans sa publication Computing machinery and intelligence, ce test consiste à mettre en confrontation verbale un humain avec un ordinateur et un autre humain à l’aveugle. Si l’homme qui engage les conversations n’est pas capable de dire lequel de ses interlocuteurs est un ordinateur, on peut considérer que le logiciel de l’ordinateur a passé avec succès le test. Cela sous-entend que l’ordinateur et l’homme essaieront d’avoir une apparence sémantique humaine. Pour conserver la simplicité et l’universalité du test, la conversation est limitée à un échange textuel entre les protagonistes. »
C’est en 1950 que ce concept a été élaboré !
Et aujourd’hui, plusieurs fois par jour, on passe tous des test de Turing lorsqu’on manipule notre ordinateur, quand on doit reconnaître des lettres écrites de manière toute tordue. Mais les programmes automatiques deviennent tellement performants qu’ils commencent à faire aussi bien que les humains. Aussi rajoute-t-on maintenant des questions du type : « Quel jour est entre lundi et mercredi ? » Mais n’en doutons pas, d’ici peu, les programmes informatiques répondront très facilement à ce genre de questions. Et ces programmes imiteront et approcheront toujours plus les capacités humaines dans tous les domaines, jusqu’à ce qu’on ne puisse plus les distinguer des humains, ce que prétendait Alan Turing déjà dans les année 1950, d’où son idée du test.
Dans le film dont nous parlions ci-dessus, on part du principe qu’en 2019, les machines imiteront parfaitement les humains, sauf en ce qui concerne un tout dernier point : les réactions émotionnelles. Le test de Turing limité à la réaction émotionnelle a été baptisé test de « Voight Kampff » dans l’histoire.
Ridley Scott nous montre ici Deckard, le Blade Runner en train de réaliser le test de Voight Kampff. Quiconque n’a encore jamais vu le film « Blade Runner » doit aussi rapidement combler cette lacune. Cette œuvre elle aussi est pleine de références, d’allusions à la philosophie, à la science et aux écrits bibliques. Elle est en plus très poétique, un monument…
Notons que des films récents de grande valeur comme « I-Robot », des séries, comme la fameuse série suédoise « Real Human » posent admirablement les questions fondamentales que risquent de poser très prochainement la présence dans nos sociétés de robots de compagnie. Faudra-t-il leur accorder des droits ? S’y attachera-t-on émotionnellement ? Commenceront-ils à développer des envies d’indépendance… Ces questions sont aussi posées par des revues de la presse scientifique : Science et Vie avril 2013 page 108 : « Faudra-t-il accorder des droits aux machines intelligentes ? ». Dans le même numéro page 131, on trouve aussi une idée intéressante de Susan Blackmore, université de Plymouth : « L’intelligence artificielle va devenir réalité ». Il y a le mouvement « transhumaniste » qui fait aussi parler de lui…
Quant à la Corée du Sud, elle travaille à intégrer à la loi d’ici 2020 des articles instituant le droit des robots à « exister sans la peur d’être blessé ou tué » et à « vivre une existence libre d’abus systématiques ».
Si certaines de ces idées ou questions peuvent (pour l’instant !) paraître loufoques ou exagérées, ce genre de questions commencent à se poser un peu partout…
Je pourrais être intarissable sur ce sujet, mais cet essai philosophique serait alors bien plus long. Je n’ai pas abordé ici de nombreux événements ou concepts comme par exemple le prix Hugh Loebner ou les très prometteurs (et troublants) algorithmes génétiques.
Essayons cependant de voir maintenant ce qu’il en est aujourd’hui (milieu des années 2010) de la réalité en ce qui concerne les recherches en intelligence artificielle ?
Pour répondre à cette question, nous sommes obligés de faire un petit détour par le monde très spécial de la branche des mathématiques qu’on appelle la logique. Nous allons essayer de montrer que les avancées des dernières années sont spectaculaires.
La gödélisation et le λ-calcul (lambda-calcul) : les machines peuvent-elles raisonner ?
On va essayer d’expliquer ici le plus clairement possible comment des concepts énoncés par des mots peuvent être traduits en des propriétés sur des nombres, et donc traités par des ordinateurs de manière mécanique.
Ce qui suit est expliqué de manière très claire dans le N° « Gödel, Logique à la folie », les génies de la science, Pour la Science, août-novembre 2004, pages 43 à 59, et c’est assez incroyable !
Au milieu du XXème siècle, Kurt Gödel cherche d’abord une théorie possédant deux propriétés essentielles : elle doit être si puissante que la métathéorie syntaxique y soit exprimable et elle doit être constructible en un nombre fini d’étapes. L’arithmétique de Peano présente ces deux propriétés.
L’enjeu est de traduire des énoncés du « métalangage » de l’arithmétique, c’est-à-dire du métalangage des assertions sur les nombres dans le langage objet de l’arithmétique, c’est-à-dire des nombres.
Waouh !
Faisons comprendre cette phrase par un exemple : « 0 » est traduit par « 1 », le successeur « s » est traduit par « 3 », la négation par « 5 », le « ou » par « 7 », « quel que soit » par « 9 », « ( » par « 11 » et « ) » par « 13 », tous des nombres impairs. Enfin, les variables de type « n » sont traduites par pn, avec p un nombre premier supérieur à 13.
Une formule de l’arithmétique de Peano, qui est une suite de ces symboles est donc transposée en une suite de nombres impairs correspondants : n1, n2, n3…, nk.
Cette suite de nombres est à son tour transposée en un nombre unique m=2n1*3n2*5n3*…pknk ou pk est le k-ième nombre premier. Le deuxième membre de l’égalité est donc la décomposition en facteurs premiers de m. Le nombre m est le nombre de Gödel de la formule.
Ce processus peut être réitéré sur une suite de nombres de Gödel associés à une suite de formules de l’arithmétique de Peano, donnant alors le nombre de Gödel correspondant à la suite de formules.
Or, une démonstration n’est rien d’autre qu’une suite de formule dont chacune est soit un axiome (il y en a 5 dans l’arithmétique de Peano), soit découle des précédentes. Les théorèmes de l’arithmétique nous assurent que la décomposition en nombres premiers d’un nombre est unique. Cela signifie qu’un symbole, une formule ou une suite de formules correspond à un unique nombre de Gödel. Et du fait de cette unicité, il est possible pour chaque nombre entier naturel de savoir s’il est un nombre de Gödel et si dans ce cas, il est le nombre de Gödel d’un symbole, d’une formule ou d’une suite de formules.
Mais cette méthode de Gödel (appelée aussi gödélisation) peut être appliquée à n’importe quel texte : des textes de programmes, etc…
Du coup, et cela est fondamental :
Les concepts métalinguistiques de la syntaxe de l’arithmétique de Peano sont traduits en des propriétés sur des nombres.
Par exemple, le concept « est une formule » correspond à la propriété « est un nombre dont les exposants de la décomposition en facteurs premiers sont tous impairs ».
Autre exemple, le concept « x est une formule démontrable » peut être exprimé à l’aide de relations arithmétiques.
Gödel rajoute à tout cela des outils permettant de traiter les autoréférences du type « Cette formule n’est pas démontrable ».
A l’aide de tous ces outils, il parvient à énoncer son théorème d’incomplétude, à savoir :
Toutes les propriétés vraies de l’arithmétique ne peuvent pas être démontrées dans un seul et unique système formel donné non contradictoire.
Et cette démonstration a fait beaucoup de bruit dans les mathématiques !
Kurt Gödel à gauche avec l’un de ses meilleurs amis Einstein. Tous les deux avaient ensemble des discussions interminables.
Si j’ai fait le développement ci-dessus sur la gödélisation, c’est pour permettre de faire comprendre à l’aide d’un exemple concret comment une machine peut « traiter les sens » d’une assertion logique avec ses circuits imprimés, de manière mécanique. Mais la gödélisation ne permet de le faire que théoriquement. C’est plus tard, à l’aide du λ-calcul qu’on aura des pistes pour mécaniser ce traitement et l’appliquer réellement.
De nombreux travaux suivirent, dont les principaux acteurs furent en plus de Kurt Gödel, Alonzo Church, John Von Neuman, Alan Turing, et plus récemment le logicien français Jean-Louis Krivine. Ce dernier démontra en 1997, quelque chose de tout aussi remarquable que le théorème d’incomplétude de Gödel (page 59 du N° de Pour la Science cité plus haut) :
Le λ-calcul permet d’exprimer tous les raisonnements ainsi que toutes les structures mathématiques.
Et cet événement est passé quasiment inaperçu aux yeux du public !
Et pourtant, il signifie que tout raisonnement fait par un humain devrait pouvoir être fait un jour par une machine. Une machine peut déjà jouer aux échecs, cela n’est un secret pour personne. Mais elle devrait un jour « voir » que la proposition bien connue en philosophie « Je mens » pose problème. En effet, si je dis vrai, en disant « je mens », alors c’est que je mens, mais du coup, je ne peux pas être en train de dire la vérité. Autre exemple : au lieu de taper un programme pour que l’ordinateur m’écrive tous les nombres premiers de 2 à 4007, il me suffira un jour de dire au micro de mon ordinateur : « Inscris-moi à l’écran tous les nombres premiers de 2 à 4007 dans l’ordre. ».
Mais je n’ose même pas imaginer la complexité du formalisme et des algorithmes qui feront ce genre de travaux !
ATTENTION : on dit ici uniquement que tout raisonnement fait par un humain devrait pouvoir être un jour fait par une machine. On ne parle pas de faire « ressentir » (c’est-à-dire pas simuler ou imiter ou faire comme si, mais ressentir) un sentiment de peur, de colère, de joie ou autre à une machine. De plus, la phrase est au conditionnel, car encore faut-il trouver le moyen et les algorithmes qui feront ce travail. Mais le résultat n’en reste pas moins spectaculaire puisqu’il est désormais démontré qu’il n’y a pas d’obstacle mathématique à la chose.
CONCLUSION SUR LES PROPRIÉTÉS ÉMERGENTES DE LA MATIÈRE ET SUR LES INTELLIGENCES
Il est temps de dévoiler pourquoi j’ai tant insisté sur l’intelligence artificielle ci-dessus.
D’abord, rappelons que tout raisonnement fait par un être humain devrait un jour pouvoir être fait par une machine purement mécanique. De là à en déduire que la capacité de notre cerveau à raisonner n’est que le résultat de processus purement matériels, il n’y a qu’un pas… que je franchis volontiers !
Je ne suis d’ailleurs pas troublé par le fait qu’en 3,5 milliards d’années, la nature, par les processus de sélection naturelle ait su créer un circuit très compliqué, notre système nerveux, dans lequel se déplacent des charges électriques pour nous permettre de nous mouvoir, de voir des images, de raisonner… les propriétés émergentes de la matière aidant.
Maintenant, imaginons une seule seconde qu’une machine très complexe se mette un jour à avoir peur de mourir, à tomber amoureuse ou autre, sans qu’on ne la programme pour cela ! La capacité à éprouver des sentiments deviendrait alors une propriété émergente de la matière dans les systèmes complexes.
Ou alors, imaginons que les successeurs de Jean-Louis Krivine, Kurt Gödel et les autres ne parviennent à démontrer que le λ-calcul, ou un autre formalisme plus pratique, encore à inventer, ne permette d’affirmer que tout sentiment éprouvé par un être humain pourra un jour être éprouvé par une machine. En d’autres termes qu’éprouver des sentiments est comme raisonner, le résultat d’un calcul.
Les conséquences philosophiques seraient énormes :
Nous pourrions alors, à mon avis nous passer de l’hypothèse de l’existence de Dieu.
En effet, on sait aujourd’hui, comme dit plus haut que notre capacité à raisonner nous vient uniquement de notre corps matériel. Pas besoin d’un plus en dehors de la matière donc pour expliquer notre capacité à raisonner.
Et il en serait de même si notre capacité à éprouver des sentiments n’était qu’une propriété émergente de la matière : nous n’aurions alors plus besoin de ce plus en dehors de la matière qu’est « l’âme », ni de Dieu !
Serait-ce là une piste qui permettrait de démontrer la non existence de Dieu ?
Je ne suis pas assez calé en philosophie, mathématiques, science pour pouvoir l’affirmer, mais mon intuition, me le dit. Ceci dit, je peux me tromper !
En tout cas, avec cet exemple, on voit à quel point une avancée scientifique pourrait bouleverser nos conceptions philosophiques… et changer nos croyances.
III°/ LE PRINCIPE DU RASOIR D’OCKHAM
On peut aussi utiliser l’orthographe : rasoir d’Occam.
Guillaume d’Ockham était un moine Franciscain du XIVème siècle.
Il a énoncé son principe :
Pluralitas non est ponenda sine necessitate
« Les multiples ne doivent pas être utilisés sans nécessité. »
En termes d’aujourd’hui, on l’énoncerait ainsi :
« Les hypothèses suffisantes les plus simples sont les plus vraisemblables ».
Ce principe paraît plein de bon sens et c’est celui qu’a spontanément utilisé Pierre Simon de Laplace quand il fit sa réponse à Napoléon comme expliqué plus haut : « Sir, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse ».
Le problème, c’est que c’est un principe et que donc, il n’est pas démontré !
Il ne faut cependant pas le perdre de vue. Et tout au long de l’histoire, dans les religions, les systèmes cosmogoniques et autres, il s’est avéré que ce principe était bon.
Pour expliquer le vent, les saisons, le mouvement des astres, le tonnerre et les éclairs, et tous les autres phénomènes de la nature on a supposé l’existence de nombreux dieux. Aujourd’hui, ils ont disparu pour laisser la place à deux théorie physiques, à 4 forces fondamentales et à 12 particules plus leurs antiparticules !
Prenons donc ce principe comme un principe de bon sens.
Jean-Jacques Annaud, dans « Le nom de la rose« , nous montre le moine franciscain Guillaume de Baskerville, incarné par Sean Connery, rationaliste qui mène son combat contre l’obscurantisme. Guillaume de Baskerville est bien entendu un clin d’œil à Guillaume d’Ockham. Dans le film, certains expliquent certains événements par l’action de l’esprit du mal. Guillaume de Baskerville trouvera à chaque coup une explication rationnelle permettant de se passer de l’hypothèse d’interventions d’êtres surnaturels. Un autre moine finira cependant sur le bûcher, car considéré malgré tout comme possédé par le démon par ceux qui ont le pouvoir.
IV°/ LA FORCE DE LA SCIENCE POUR COMBATTRE L’OBSCURANTISME
A la lumière de tout ce qui précède, je voudrais maintenant entrer dans le vif du sujet :
Combattre à l’aide de la raison, l’obscurantisme.
Mais je dois faire très attention à ce que je place sous le mot obscurantisme.
En effet, toutes les croyances ne peuvent pas être considérées comme de l’obscurantisme.
Comme annoncé plus haut, développons à présent l’idée selon laquelle les croyances peuvent être classées selon trois catégories :
-
Il y a les croyances qui sont nécessaires pour tous pour notre survie et dont on ne peut s’autoriser à discuter le bien fondé qu’en philosophie. Nous les appellerons les croyances obligées.
-
Il y a des croyances qui paraissent raisonnables, mais discutables. Nous les appellerons les croyances raisonnables.
-
Il y a des croyances qui sont tout simplement ridicules ou stupides, osons les mots. Nous les appellerons les croyances stupides.
Les croyances obligées :
Personnellement, je crois en l’existence du monde matériel qui m’entoure. Et je pense que ceux qui n’y croient pas doivent être en petit nombre.
Une personne qui n’accepterait pas le principe de réalité serait d’ailleurs en grand danger !
En effet, imaginons qu’elle traverse la route et qu’elle voit une voiture qui lui fonce dessus : ce ne sera pas le moment de se demander si cela est bien réel !
Et quand bien même cela ne devait pas être réel, dans le cas où nous vivrions dans la Matrice (référence au film Matrix), les grandes lignes des travaux de Freud nous enseignent que le but premier de tout être humain et peut-être même de tout animal est d’éviter toute souffrance ! C’est donc une loi de la nature qui fait que je vais chercher à éviter la voiture qui me fonce dessus. Ensuite, s’il n’y a pas souffrance, tout être humain va essayer d’atteindre un état de plaisir (le « principe de plaisir » de Freud) : le plaisir que procure la satiété, le plaisir intellectuel, les plaisirs charnels, matériels, sexuels… et aussi ceux plus destructeurs que procurent par exemple les consommations de drogues. Nous ne discuterons pas ici de la nécessité de savoir différer les plaisirs et renoncer au plaisir immédiat. Cette impossibilité pour certains est très souvent à l’origine de la délinquance…
Croire au monde matériel qui nous entoure et que nous percevons avec nos 5 sens est donc obligé si l’on veut vivre.
Et le comble, c’est que cette croyance en ce monde physique est obligée pour éviter toute souffrance, même si ce monde physique devait ne pas exister et n’être qu’une illusion ou n’être qu’un monde virtuel simulé !
Alors ça c’est fort !
Les croyances raisonnables mais discutables :
Il s’agirait-là des croyances en l’existence des nombres, en l’existence de Lois ou en l’existence d’un Dieu unique, voire en d’autres « Absolus » possibles !
Personnellement, si je devais prendre les paris, je parierais pour l’existence des nombres. Mais je pense que ma raison est plus « esthétique » que le résultat d’un raisonnement. Je trouve cette idée plus séduisante que le contraire, donc j’y adhère.
Personnellement, si je devais prendre les paris, je parierais contre l’existence de Dieu. Ma raison principale est l’avènement de l’intelligence artificielle, comme développé plus haut. Je pense que les machines intelligentes du futur développeront des sentiments à partir d’un certain degré de complexité. Et donc je n’aurais plus besoin de l’hypothèse de l’existence de Dieu pour expliquer que des êtres ressentent des sentiments. Mais cela ne s’est pas encore produit.
De plus, je me dis que tout au long de l’histoire, l’homme n’a jamais su accepter qu’il n’est pas particulier dans l’univers. D’abord avec sa position supposée centrale dans l’univers, la science a cassé cette idée. Ensuite, en pensant qu’il était le chef-d’œuvre de l’évolution, au-dessus des animaux et unique dans l’univers comme être pensant, la science est en train de casser cette idée… Enfin, tout est mortel dans l’univers, même les étoiles. Et l’homme, lui, aurait la possibilité d’avoir la vie éternelle ? Allez donc, comment peut-on refuser notre condition d’homme mortel, d’animal mortel ? D’ailleurs, pourquoi vouloir une vie éternelle ? Pour quoi faire ? Et en plus aux côtés d’un Dieu omniscient (rappelons que cet attribut de Dieu semble impossible). Nous n’aurions alors même plus de question à nous poser ! N’est-ce pas le plaisir de la recherche qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue ?
Je désirerais aussi ici poser une questions aux croyants raisonnables, qui raisonnent :
Si Dieu est Amour et s’il est le Créateur, alors pourquoi a-t-il créé l’homme comme un être pouvant souffrir, et faire souffrir ?
Je me fais là volontairement provocateur, mais gardons à l’esprit qu’il ne saurait être considéré comme absurde de croire en l’existence de Dieu ou des nombres.
Les croyances ridicules :
Disons-le tout de suite et sans passer par quatre chemins, je place dans cette catégorie l’astrologie, la voyance, la numérologie, la réincarnation, les médecines parallèles, les pouvoirs des sorciers, les pouvoirs de sourciers, et toutes les autres croyances de ce type.
Une remarque cependant :
Les lecteurs de cet article étant des astronomes amateurs, 100 % d’entre eux doivent être d’accord avec moi en ce qui concerne mon classement de l’astrologie dans cette catégorie. Mais qu’en est-il si l’on sort de notre spécialisation : les étoiles ? Je suis certain qu’une bonne proportion des lecteurs de cet article « croient » par exemple en l’homéopathie ou dans le pouvoir des sourciers à trouver sur un terrain l’endroit où passe l’eau !
Et pourtant, combien d’expériences rigoureusement scientifiques ont été faites pour démontrer que l’homéopathie marche… mais pas plus qu’un placebo. Donc, ce n’est qu’un placebo ! On explique même pourquoi elle semble marcher sur les animaux…
Quant aux sourciers, il faut lire le livre de Georges Charpak, Devenez sorcier, devenez savant. Il nous y décrit une expérience où l’on demande aux meilleurs sourciers de trouver à travers quel tuyau passe l’eau parmi n tuyaux. Les sourciers ont raison… une fois sur n ! Ah, que le hasard marche bien !
A chacun donc de faire un travail sur soi, y compris moi-même. Je dois aussi très souvent me laisser berner par des croyances absurdes que je n’identifie pas comme telles. Il paraîtrait même que cette capacité du cerveau humain à vouloir mettre du sens où il n’y en a pas, contrairement à ce que ferait la raison pure est à la base de notre capacité à prendre des décisions, sans quoi nous n’y arriverions jamais. Les problèmes usuels de la vie ne pourraient pas être résolus avec la seule raison, les facteurs à considérer étant trop nombreux et trop complexes à intégrer. L’émotion serait nécessaire pour nous permettre de prendre des décisions, voir ici.
Notre cerveau est une prodigieuse machine à produire du sens et si j’ai un accident de voiture parce qu’un conducteur saoul déboîte devant moi, je risque encore de me demander ce que j’ai fait pour mériter cela : c’est humain… mais pas logique.
Ce sont ces croyances stupides que nous mettons sous le mot obscurantisme : des croyances en des choses qui font abstraction de toute raison pour les établir !
Et c’est ces croyances-là que nous voulons combattre.
Pourquoi vouloir combattre l’obscurantisme ?
Parce qu’il est dangereux. En effet, une personne décidant d’arrêter un traitement médical contre son cancer pensant qu’un traitement homéopathique ou que le traitement d’un magnétiseur est plus efficace mettra sa vie en danger. L’obscurantisme peut aussi être dangereux pour le psychisme : certaines personnes doivent vivre assez mal, pensant par exemple que leur maison est hantée !
Et combien de personnes nient l’existence même du hasard ? « Rien n’arrive par hasard. S’il m’arrive quelque chose, c’est que je l’ai provoqué ! ». Ce mode de pensée peut causer des sentiments de culpabilité terribles lorsqu’on attrape une maladie : « A qui la faute ? A moi ? Qu’ai-je fait pour me provoquer cette maladie ? » ou encore pire : « J’ai un cancer au sein gauche, ce sont donc les soucis que m’a causés ma fille qui en sont à l’origine. C’est la faute de ma fille ! ». Mais on n’envisage pas une seule seconde que la maladie ait pu être déclenchée parce que par hasard, en allant faire des courses, on a croisé une personne qui nous a contaminé. Ou parce que par hasard, il y a eu une mutation génétique dans l’ADN de l’une de nos cellules qui nous a déclenché un cancer.
Le hasard existe et il existe tellement bien que les états ou les casinos de toute la planète réussissent à s’enrichir en étudiant ses lois. Et que dire du hasard dans la nature, en mécanique quantique… Mais celui qui nie l’existence du hasard trouvera toujours le moyen de s’en sortir, ne respectant pas le principe du rasoir d’Ockham. Supposez l’existence du hasard, ce qui est raisonnable et vous aurez une explication bien plus simple ne faisant pas appel à des théories, des pouvoirs, des esprits du mal, des mauvais sorts, farfelus. Et vous ne risquerez pas de culpabiliser ou de détruire votre famille en accusant à tort quelqu’un d’être responsable de votre accident (sauf si un chauffard vous rentre dedans !) ou de votre maladie.
Le fait que la sécurité sociale rembourse des traitements homéopathiques me pose aussi problème, dans la mesure ou le « trou de la sécu » empêche notre nation de se doter du nombre de scanners ou d’IRM dont elle aurait réellement besoin. Résultat : des délais d’attente très longs et des cancers qui progressent avant même que le diagnostic ne soit confirmé, étape préalable nécessaire avant toute intervention chirurgicale.
L’obscurantisme est dangereux pour encore bien d’autres raisons que celles exposées ici.
Parce qu’il occupe les esprits qui pourraient se consacrer à des choses plus utiles autrement. Il est des personnes qui passent toute une partie de leur vie à apprendre les configurations astrales de l’astrologie par cœur. Que de temps perdu ! Si à la place elles se mettaient, ne serait-ce que à lire de temps en temps une revue philosophique, un bon Jules Verne, ou une revue scientifique relatant les dernières découvertes de la science…
Mais après tout pourquoi ? C’est un point de vue très personnel. Pour mieux l’exposer, posons-nous la question suivante. Nous avons d’un côté une civilisation comme les aborigènes d’Australie (avant l’arrivée des occidentaux), qui vivaient de manière stable depuis 40000 ans, en harmonie avec la nature, sans dégrader leur environnement de manière irrémédiable. Ils avaient leurs légendes et leur art. D’un autre côté, nous avons nous, les Occidentaux, qui sommes en train de détruire notre planète et pire, qui risquons même d’anéantir notre propre espèce. Laquelle des deux civilisations a le mieux réussi ! C’est une question piège, qui n’a peut-être pas lieu d’être posée ! Mais moi, je suis content d’être occidental, car je sais grâce à notre technologie que les quasars lointains existent, que π est un nombre transcendant ou que c’est la Terre qui tourne autour du Soleil et non l’inverse. Et je trouve que notre civilisation a au moins ça. On s’y instruit sur l’univers, on y crée du savoir, des œuvres d’art et on y fait des découvertes. C’est quand même autre chose que de créer des richesses et des dollars (*) ! C’est pour cela que je pense que notre civilisation occidentale qui va droit dans le mur pour l’instant vaut la peine d’exister. Peut-être allons-nous trouver le moyen de nous en sortir.
(*)
Comme tous ces automates
Qui bâtissent des empires
Que le vent peut détruire
Comme des châteaux de cartes
Michel Berger, Starmania
Il faut faire attention à ce que l’on cherche à faire en combattant les croyances.
Il ne viendrait pas à l’idée à un astrophysicien de dire qu’il faut brûler le livre d‘Antoine de Saint-Exupéry sous prétexte qu’on y parle de choses ne pouvant exister dans l’univers : un petit astéroïde habité est impossible, car pas assez de gravitation pour garder l’atmosphère ou un habitant… Mais le but de Saint-Exupéry n’était pas d’écrire un livre d’astrophysique dévoilant des vérités scientifiques, mais un livre philosophique dévoilant des vérités philosophiques.
Qui oserait dire que l’œuvre Ô combien philosophique d’Antoine de Saint-Exupéry est absurde car astrophysiquement impossible ? Personne n’aura l’idée d’y chercher des vérités astrophysiques. Ce n’est pas le but de l’auteur. Alors pourquoi certains cherchent à le faire avec des livres comme la Bible ou le Coran dont ce n’est certainement pas non plus le but d’être des livres de science ? Jamais aucun livre de mathématiques ou de physique ne donnera autant à réfléchir sur les choses simples de la vie que ce que fait Antoine de Saint-Exupéry avec le Petit Prince.
Quand le Petit Prince rencontre un marchand qui vend des pilules très perfectionnées contre la soif, ce dernier lui dit qu’on peut calculer qu’en en prenant une par semaine, on économise 53 minutes de temps.
Moi, se dit le Petit Prince,
si j’avais 53 minutes à dépenser,
je marcherais tout doucement vers une fontaine.
Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince
La science et la philosophie ne répondent pas aux questions de la même manière. Pas convaincu ? Demandons à un adulte (un peu scientifique) comment brille une ampoule d’éclairage ? Il répondra : « Une différence de potentiel met des électrons en mouvement dans un fil de métal dont les atomes sont par conséquent excités… ». Il nous donnera l’explication scientifique de la chose. Demandons à présent à cet adulte « Pourquoi » brille cette ampoule ? Il répondra certainement peut-être agacé : « Mais je viens de vous l’expliquer : c’est parce que des électrons sont mis en mouvement… ». C’est seulement si l’on insiste qu’il cherchera une autre explication. Si nous posons la question à un enfant : « Pourquoi brille l’ampoule ? », il répondra tout de suite : « Ben, pour nous éclairer ! ».
La science répond à la question « Comment » et la philosophie à la question « Pourquoi ».
Mais personnellement, ce qui me plaît avec la science, c’est qu’en général, quand elle parvient à donner une explication au « comment » d’un phénomène, c’est que cette explication est unique. Quand la philosophie parvient à donner une explication au « pourquoi » d’un phénomène, bien souvent elle n’est pas unique et cela ne me rassure pas !
Et d’ailleurs, pourquoi la réponse à la question du « Pourquoi » de notre existence devrait-elle avoir une réponse ? Et si nous étions tout simplement là parce que nous sommes là, comme une pierre quelconque sur une planète quelconque ?
Il faut donc faire attention à ce que l’on cherche à faire en combattant les croyances.
On cherche certainement à mettre en garde contre les dangers de l’obscurantisme, contre les dangers des croyances stupides.
On ne cherche certainement pas à affirmer que les croyances raisonnables comme définies plus haut sont forcément inutiles, ou pertes de temps quoique nous n’en écartions pas la possibilité. Par contre, elles peuvent certainement aussi être dangereuses si l’on manque de tolérance et d’esprit critique… Si le Petit Prince de Saint-Exupéry est sûrement une œuvre inoffensive, il ne fait aucun doute que certains hommes ont tué au nom de Dieu ou au nom de la Bible ou du Coran !
C’est pour cela que nous avons étendu notre discussion philosophique intitulée « Combattre l’obscurantisme » en parlant de toutes les croyances : les obligées, les raisonnables et les stupides.
Et donc que je me suis autorisé à proposer une piste pour essayer de montrer la non existence d’un Dieu unique si tel devait être le cas, mais uniquement à l’aide de la raison.
Par contre, s’il devait exister, et donc si jamais les machines ne devaient développer spontanément des sentiments sans qu’on ne les programme pour cela, ma méthode ne servirait à rien et nous serions coincés !
Mais le théologien dira que cela est normal. Car à partir du moment où Dieu laisse les hommes libres de croire ou de ne pas croire, et qu’ils doivent tous avoir des chances égales au départ, on ne doit pas pouvoir accéder à Dieu par les seules lumières de la raison. Les gens moins malins auraient alors moins de chances d’accéder à Dieu alors que les plus malins y accéderaient facilement. Cela serait injuste. Or, la Justice est un des attributs de Dieu. Les théologiens disent d’ailleurs que les chemins pour accéder à Dieu sont multiples.
J’envisage même que si un jour les machines se mettent à avoir des sentiments, les théologiens diront alors que c’est Dieu qui place une âme dans ces organismes artificiels complexes. Oui mais là alors, ils violeraient le principe de bon sens de rasoir d’Ockham.
Et si Dieu devait ne pas exister, ne devrait-on pas y croire tout de même ou à l’un de ses substituts ? Un marxiste croit lui aussi en une utopie : une sorte d’idéal inatteignable.
Et n’a-t-on pas besoin de croyances ?
Je crois que c’est Friedrich Nietzsche qui a dit quelque chose comme : « Essayez de faire mieux sans Dieu que ce que nous avons fait avec Dieu ! ».
Un terrible sentiment d’impuissance face à l’obscurantisme
Un athée peut avoir un sentiment « d’impuissance » face à un croyant raisonnable en Dieu.
La réciproque est vraie elle aussi.
Et cela est normal parce que comme nous l’avons vu, il n’est pas stupide de croire en Dieu, mais il n’est pas non plus stupide de ne pas y croire.
Si les deux protagonistes sont tolérants et ont tout de même un sentiment très sain de doute, la certitude absolue étant dangereuse des deux côtés, il ne devrait pas y avoir de problème.
Ce qui est plus curieux par contre, et aussi plus agaçant, c’est qu’un astronome avec sa science et ses théorèmes démontrés à partir des principes de départ jamais pris en défaut n’arrive pas à convaincre quelqu’un qui croit en l’astrologie !
Et je l’ai expérimenté à maintes et maintes reprises.
Pour la petite anecdote, la dernière en date montre toute la difficulté de la chose. A la fin d’une conférence que j’ai donnée dernièrement, je fis ma petite parenthèse sur l’astrologie : incohérence des dates avec les signes du Zodiaque, incohérence sur le nombre de constellations du zodiaque, différences de caractères entre personnes nées le même jour…
A la fin de mon exposé, une personne vint me voir et me dit : « Monsieur, dernièrement j’étais à la fête de ma classe. Nous sommes tous nés le même jour de la même année. Et l’on nous a servi du poivron au repas. Et là, on s’est aperçu qu’aucun de nous ne l’aimait ! Comment vous expliquez cela autrement que par l’astrologie ? ».
Les bras m’en sont tombés !!!
Je lui ai répondu que cela devait relever du hasard et qu’il ne pouvait pas se prononcer ainsi sur cette question sans vérifier si cela restait vrai sur un échantillon de population plus grand. Et je lui ai aussi répondu que le cuisinier de ce jour devait être un bien mauvais cuisinier, un peu pour plaisanter.
Mais je ne me fais aucune illusion. Il est sorti de la salle en se disant qu’avec ma science, je n’avais pas d’explication à ce qu’il avait remarqué. Et pour lui, ce fait remarqué devait trouver du sens. La science étant totalement incapable d’expliquer cela tout simplement parce que c’est faux ou que ça relève du hasard, ce monsieur va aller chercher sa réponse ailleurs que dans la science. Et il va la trouver et même bien plus…
En général, ce genre de discussion, si on la pousse loin se termine par un magistral : « Mais qui vous dit que vous avez raison avec votre science, et que ce n’est pas moi avec la mienne ? ».
On ne fait même plus la différence entre d’une part, une observation scientifique qui fonctionne toujours et arrive toujours aux mêmes conclusions ou une expérience reproductible, et d’autre part une observation n’ayant été faite que par une personne (d’ailleurs peut-être de mauvaise foi) et qui ne marche pas toujours, comme par exemple l’observation ou le « ressenti » de la présence d’un fantôme.
Le chat de Philippe Geluck nous donne un très bel exemple du genre de preuve qu’emploient certains adeptes des sciences ésotériques…
LA FORCE DE LA SCIENCE
Qu’est-ce que la science a donc de plus par rapport à tout ce qui est ésotérique ?
Prenons d’abord l’exemple des mathématiques.
On construit un système formel avec ses axiomes (soit, non démontrés mais très raisonnables et jamais pris en défaut et non contradictoires) et ses lois, par exemple l’arithmétique de Peano, voir la page.
Dans ce système formel, à l’aide de ses lois et en partant de ses axiomes, on va démontrer une foule de théorèmes.
MAIS, lorsqu’on énoncera un tel théorème, on précisera toujours qu’il est démontré dans le système de Peano et donc on sous-entend que ce théorème est vrai seulement si les 5 axiomes de Peano sont vrais ! Du coup, même en mathématiques, on affirme que tout théorème n’est pas une vérité absolue, mais dépend du système formel dans lequel il a été formulé.
Prenons un exemple concret en géométrie :
Le théorème qui dit : « la somme des angles d’un triangle est égale à 180° ». Cela est une vérité uniquement en géométrie euclidienne, c’est-à-dire la géométrie du plan. Il faut donc préciser que ce théorème a été formule dans le cadre de cette géométrie. En géométrie elliptique, la somme des angles d’un triangle est supérieure à 180° et en géométrie hyperbolique, elle est inférieure à 180°.
Prenons l’exemple de la physique.
Les équivalents des axiomes en physique sont appelés les principes ou les postulats.
Et quand on énonce un théorème, on le démontre toujours en partant des principes de départ, toujours observés et jamais pris en défaut.
Ensuite, il faut comprendre que toute théorie physique n’est qu’un modèle et ne prétend en aucun cas être une Vérité absolue.
Prenons comme exemple le modèle des épicycles de Ptolémée. Il devait rendre compte du mouvement des astres dans le ciel en satisfaisant la contrainte que ce sont le Soleil et les planètes qui tournent autour de la Terre. Le modèle fut bâti sur un principe faux et pourtant, il permettait quand même de prévoir la position des astres dans le ciel à un moment donné. C’est cela un modèle. Il en va de même de la physique de Newton et du système de Copernic qui sont plus « simples », mais aussi plus précis que ceux de Ptolémée, mais toujours faux dans l’absolu. La physique de Newton ne marche plus quand les masses et les vitesses deviennent immenses. On fait alors appel au modèle encore plus puissant et précis élaboré par Einstein qu’est la théorie de la relativité générale ? Et il ne fait nul doute qu’une théorie encore plus puissante sera élaborée ultérieurement.
Notons au passage que si l’on précise bien qu’on se place dans le repère géocentrique, l’assertion : « Le Soleil tourne autour de la Terre » devient une vérité scientifique rigoureuse !
Le système de Ptolémée place la Terre au centre. Les autres astres tournent autour. Cela est faux dans l’absolu. Et pourtant avec cette théorie basée sur un principe faux, on a une physique qui permet tout de même d’obtenir des résultats : on parvient avec ce système à prévoir la position des astres dans le ciel. Et c’est ça, l’éternelle histoire de la physique : toutes ses théories ne sont que des modèles faux dans l’absolu… mais ils permettent de prévoir l’état d’un système dans le futur avec une certaine incertitude qui peut être quantifiée.
Les sciences comme les mathématiques et la physique ne prétendent donc pas dévoiler des Vérités dans l’Absolu, mais des modèles dont on sait qu’ils sont faux, mais toujours plus précis.
La science s’efforce en plus, quand elle fait un calcul pour donner par exemple la position d’un astre à donner l’incertitude sur le résultat trouvé.
La science connaît donc ses limites et elle les précise ; elle les quantifie. Et c’est cela sa force.
C’est en ce sens qu’a été formulée l’assertion de Karl Popper : « Une théorie n’est scientifique que si elle est réfutable ».
Et pas du tout dans le sens qu’elle peut être considérée comme non vraie au même titre que n’importe quelle autre théorie.
Les mouvements ésotériques ne savent pas préciser les limites des cadres dans lesquels ils ont formulé leurs théories. Ils ne savent pas préciser les incertitudes par rapport à leurs prévisions (prédictions?) toujours très vagues et très sujettes à interprétation.
Donnons encore à ce stade un point de vue.
Jusqu’à aujourd’hui, l’histoire nous montre que ce sont les découvertes scientifiques qui modifient nos visions « philosophiques » du monde et nos croyances et non l’inverse ! En effet, la science a force de raison et au bout du compte, elle devrait s’imposer face à une croyance erronée. C’est ce qui s’est passé avec le géocentrisme.
C’est aussi ce qui s’est passé avec l’invention de la bombe atomique. La science a donné à l’homme le pouvoir inouï de s’anéantir, pouvoir qu’il n’avait pas jusqu’ici. Les manipulations génétiques nous permettent de jouer avec la vie. La contraception aussi...
La philosophie, l’éthique, les religions, les sociétés, les états doivent évoluer pour apprendre à gérer ces nouveaux pouvoirs donnés par la science. Ce ne seront pas les pouvoirs supposés du gourou de telle ou telle secte ou de tel ou tel prédicateur qui pourront ainsi influencer nos sociétés.
Par ailleurs, la science donne un pouvoir de destruction à celui qui la pratique et cela, personne en face ne peut en faire abstraction ou s’en désintéresser, sous peine de risquer d’être anéanti.
On se demande bien ce que pourrait faire une société ayant des sorciers capables de soi disant envoûtement ou ayant des pouvoirs « extrasensoriels » ou je ne sais trop quoi, face à une société ayant découvert la poudre à canon. L’histoire le prouve !
CONCLUSION
Philosophiquement parlant, on ne peut donc avoir aucune certitude, si ce n’est celle de l’existence de notre propre pensée : « Je pense, donc je suis ».
Il en découle, qu’au final tout n’est que croyance.
Il faut cependant distinguer plusieurs degrés de croyances.
Les croyances obligées sont quasi certaines et si elles devaient être erronées, il vaut mieux les garder quand même sans quoi on risquerait de ne pas pouvoir éviter la souffrance que cela provoquerait.
Les croyances raisonnables, mais discutables ne sont pas certaines et pas toutes nécessaires, mais il est possible qu’on en ait un réel besoin aussi pour éviter une souffrance celle-ci supportable. Il faut cependant garder à l’esprit qu’elles peuvent être dangereuses, mais pas si leurs adeptes font l’éloge du doute et font preuve de tolérance. Il ne peut être que sain de tenter de les valider ou de les invalider. Et après tout, il y a bien une des deux assertions qui est la bonne et on voudrait au moins par curiosité intellectuelle connaître la réponse : Dieu existe-t-il ? Ou, Dieu n’existe-t-il pas ?
Les croyances stupides doivent être combattues, car elles sont dangereuses pour l’individu, pour la société, pour l’économie, inutiles à coup sûr, et handicapantes pour leurs adeptes, qui n’en ont même pas conscience.
D’une manière plus générale, pour tous les types de croyances, quand on « croit », on ne doute très souvent plus. Et c’est cela qui les rend dangereuses.
Et dès que l’on en prend conscience, notre réflexion peut, doit alors prendre le relais.
Par exemple, un marxiste et un théologien doivent s’obliger à faire tous les deux, les deux exercices philosophiques qui consistent à faire une lecture biblique de Marx, mais aussi une lecture marxiste de la Bible… Et ainsi regarder les systèmes de pensée de différents points de vue, avec tolérance et surtout sans avoir la certitude de posséder la Vérité absolue dans son « camp ».
Mais à mon humble avis, la méthode la plus efficace, pour faire un travail de réflexion quand on identifie une croyance comme telle, chez nous ou chez autrui, est de faire appel au principe du rasoir d’Ockham et à la démarche scientifique. En effet, dans l’exemple ci-dessus, il n’est pas sûr que le théologien et le marxiste arriveront à progresser… Tout juste auront-il essayé de comprendre l’autre, ce qui est déjà beaucoup.
La démarche scientifique consiste à dire dès le départ qu’on ne possède pas de vérité absolue, mais tout juste des modèles plus ou moins précis pour expliquer tel ou tel phénomène et essayer de prévoir les phénomènes naturels, les mouvements des astres, les développements des maladies, des sociétés, mais toujours en essayant de préciser les incertitudes sur les prévisions. Et essayer aussi de prévoir les existences de différentes choses.
Et surtout, la science précise que ces prévisions sont réalisées si l’on se place au départ dans un système le plus cohérent possible muni de tels ou tels principes ou axiomes et de telles ou telles lois. La science peut ensuite changer ces systèmes pour examiner ce qui se passerait avec d’autres axiomes, d’autres lois. Mais elle doit toujours le préciser.
Admettre un principe ou un axiome au départ est, il est vrai un acte de foi, mais en général, l’axiome est bâti avec la logique pure et le principe sur des observations maintes et maintes fois répétées et jamais prises en défaut…
De plus, elle respecte le principe du rasoir d’Ockham, principe de bon sens qui se débarrasse de tout ce qui est inutile pour bâtir une théorie.
Les démarches autres, dont les religieuses, se basent au départ sur un acte de foi qui ne repose pas sur une observation jamais prise en défaut. En général, on n’aboutit pas à la nécessité de l’existence de « l’entité » en laquelle on croit à la suite d’une déduction logique démarrant sur des principes de bon sens ; ni d’ailleurs à la possible existence de cette « entité » sans contradiction avec le reste de tout ce qu’on suppose raisonnablement exister.
Néanmoins, cela ne signifie pas qu’une telle croyance est absurde, sauf dans les cas de croyances stupides, qu’il faut combattre comme dit plus haut.
Mais il faut les combattre sans se faire d’illusion, sans quoi l’on risque d’être malheureux. Il est très probable que le croyant « stupide » à distinguer du croyant « raisonnable » ne reste dans son ignorance.
Il n’en demeure pas moins fondamental que le croyant entende un jour quelqu’un qui pense autrement et encore plus s’il est jeune !
Personnellement, c’est donc bien la démarche scientifique qui me paraît la plus saine et la plus efficace. Mais scientifique au sens large, pas seulement en ce qui concerne les sciences et la technologie, mais aussi dans l’élaboration de nos sociétés, de nos lois…
C’est pour cela que je suis membre du CAW.
Pour finir, j’aimerais présenter ici deux passages rédigés par Condorcet, une sorte de texte fondateur pour moi :
« Le but de l’instruction n’est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger. Il ne s’agit pas de soumettre chaque génération aux opinions comme à la volonté de celle qui la précède, mais de les éclairer de plus en plus, afin que chacune devienne de plus en plus digne de se gouverner par sa propre raison. (…)
Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées… Le genre humain n’en resterait pas moins partagé entre deux classes : celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves. (…) »